Par Fanny Cheung

Dessiner comme on respire

Cahier de dessins entouré de fleurs et de stylos
Crédits : Annie Spratt

Tu te souviens de ce cahier que nous avions à l’école primaire ?

Le cahier de poésie

Une page à grands carreaux pour y recopier ces textes à apprendre par cœur. Une page blanche pour illustrer la poésie.

Personne ne se posait de question. On dessinait simplement ce qui nous passait par la tête.


Je me souviens de l’une des premières poésies que j’ai apprise. La Sardine de Robert Desnos. Je ne connaissais ni Royan, ni la Gironde. J’imaginais un poisson, bronzant au milieu de l’océan. Au loin, une falaise abrupte rappelait la civilisation et le soleil dardant déposait ses paillettes sur l’eau glaciale.

À cette époque, les sardines se mariaient avec les conserves. Le poisson de mon quotidien, c’était plutôt la dorade, couchée sur les étals du marché, qui finissait son existence dans un panier vapeur, avec du gingembre et de la cébette.

J’ai dessiné une dorade sur une bouée à la place d’une sardine à Royan.
J’ai dessiné des barques qui se prenaient pour des caravelles.
J’ai dessiné une potion magique de mots assaisonnée de sel et de poivre.

C’était si simple. Il suffisait de fermer les yeux et laisser couler son imagination dans les feutres.


Je ne suis pas dessinatrice. Et puis, je ne sais même pas quoi dessiner.

Les années passent. La vanité et le regard du prochain nous éloigne du pinceau. Soudain, l’insouciance de notre enfance se rappelle à nous.

Ce que j’aime chez l’amateur, c’est qu’il s’épanouit loin du sérieux nécessaire à la profession. Il dessine en toute liberté et s’exprime sans imposture, avec la justesse et l’humilité d’un apprenti. On se garde d’être arrogant car on admire le travail des artistes et la réflexion des professionnels. Rien à voir avec nos gribouillis. Mais l’important, c’est l’intention.

Le dessin revisite ce qu’on connait et y additionne l’expérience et la sensibilité de nos vies. Peu importe que ce soit beau, pourvu que ça fonctionne sur le papier.

Je photographie de la nature et j’étale de la couleur. L’empreinte d’Éluard me chuchote du bleu en guise d’orange. J’observe la cité et je dilue les mouvements dans une trainée d’eau. Un propos. Une composition. Ma frontière personnelle entre le réel et l’imaginaire, l’émotion et le vécu. Il y a dans le geste du dessin, un acte qui relève de l’intime. Comme dans l’écriture. On se dévoile par des vides et des pleins. Le crayon prolonge le souffle et le trait trahit les pensées. On se surprend à découvrir du subtil dans la tristesse, du monstrueux dans le questionnement, de la légèreté dans l’angoisse. Ça ne ressemble jamais vraiment à ce qu’on avait en tête. Parfois, la main se laisse aller. De la répétition nait la fluidité. À l’image de la danse, où à force de répéter, le mouvement devient précis et harmonieux.

À la fin, le regard reprend le dessus. Pour l’équilibre. Penser au blanc, penser au noir. Révéler les formes au milieu du vide.

Souvent, c’est “raté”. Mais tant pis ! C’était un moment rien que pour nous.


J’aime beaucoup dessiner. Les jours de fatigue extrême, l’énergie qui émane de l’encre et la couleur me remplit.

Je m’oublie. Une bouffée d’oxygène dans mon cerveau en ébullition. Un sourire que j’esquisse avec mes mains.