Par Fanny Cheung

Les yeux ouverts dans la nuit

Une femme qui s'étire avec devant elle la ville qui s'éveille
Crédits : Swaraj Tiwari

La nuit engloutit mes yeux, mes fantasmes, mon être. Tandis que la ville dort, je pense à toutes ces choses que je n’ai pas réalisées.

Pêle-mêle, ma carrière de développeuse web, mes envies de jardinage, ma bouffée d’oxygène avec le dessin, mon rêve de druide avec une cuisine aux herbes médicinales. Ces facettes de moi que je construis, brindille par brindille, mais jamais assez vite à mon goût.

“Qui suis-je ?”

Ces questions surgissent au moment même où mon corps appelle au repos. Une forme de compétition avec moi-même. Terrible et perfide. En lieu et place d’une vie meilleure et rêvée la veille, celle qui se lèvera demain cueillera juste les fruits de la fatigue. Quelle drôle de vie !


Quand je ne parviens pas à trouver le sommeil, je me lève et je m’assois. Les jambes en tailleur, les mains posées sur les genoux. Je respire. Je sens mon ventre se gonfler, puis se dégonfler. Les muscles de mon corps se relâchent. Je choisis un point entre ma poitrine et mon estomac. Le plexus solaire. J’imagine une lumière fluide et apaisante. Elle grandit doucement et s’étend le long de mon corps. Je me détends. Un espace intérieur se crée petit à petit et je peux m’y reposer.

Je reste ainsi aussi longtemps que cela est nécessaire. Dehors, une voiture passe. J’entends les skaters tenter leurs hollies sur la marche de la crèche d’en face. Mon chauffe-eau ronronne doucement dans la salle de bain.

Apparait alors, dans mes pensées, une de mes projections de vie. Je la regarde et je me dis :

“Que souhaites-tu changer dans ta vie ? À quoi résistes-tu ?”

Les réponses diffèrent au fil des années. Mieux se connaître apaise la quête de sens et la soif de comprendre. Acupuncture, méditation, yoga, sophrologie, polysomnographie, nouvelles habitudes alimentaires, routine de lever, routine de coucher, thérapie comportementale et cognitive. Seule l’hypnose aura échappé à cette liste.

Parfois, il suffit de lâcher prise. Dix ans pour comprendre, cinq de plus pour l’accepter.


Ceux qui ont l’insomnie pour compagne connaissent les symptômes. Les soirées angoissantes qui préparent une nuit sans sommeil. Les matins étouffants qui grisent la journée à peine commencée. Le corps, fragile, qui crie à l’aide comme il peut. Migraine, nausées, chutes de tension, estomac en pleine révolte.

À chacun son remède. Et tout est bon à prendre. Ce n’est pas simplement l’angoisse, ni la fatigue ou la douleur. C’est un tout, une histoire, une légende personnelle que l’on se raconte. Et c’est là où le bât blesse, car après-tout :

“C’est dans ta tête tout ça ?”

Cette phrase sonne douloureusement à mes oreilles. Je l’interprète comme une attaque. Je pense que l’on se dit que je m’inflige cela sans raison. Que je ne cherche pas de solution. Que je me complais dans mon état. Mon ego s’emporte. Les divagations valsent. Mon estime de moi est en jeu.

Puis, d’un coup, je réalise que celle qui prononce ces mots, c’est moi.

Trois bougies dans des pots en verre avec la nuit tombante
Crédits : Jovi Waqa

Les blessures du passé, l’anxiété, les douleurs physiques, peu importe le chemin qui m’a amenée à l’insomnie. Un jour, peut-être, elle s’en ira. En attendant, je l’accepte comme on accepte un membre de sa famille.

Il y a les jours avec et les jours sans. Il y a les nuits avec et les nuits sans.


Merci à Sunny Ripert et AnneSottise pour l’inspiration 🌻