Par Fanny Cheung

Marcher

Vue d'un bord de mer avec des rochers et une montagne au loin.

Tant que je marchais, je me sentais vivante.


Le chemin perçait discrètement le maquis. Un soleil, bien trop vif pour un mois de mars, réchauffait ma peau et un vent léger me rafraîchissait. Cette brise, bien caractéristique des côtes, apportait avec elle des senteurs souffrées. Elle me rappelait que la mer se rapprochait. Je voyais parfois, à la faveur d’une large fente entre les chênes et les myrtes, les rochers qui s’imposaient dans l’eau salée.

Je connaissais ces rochers. Il y a six ans, ils m’avaient accueillis tandis que les larmes ne cessaient de couler. Des géants imperturbables qui persistent en dépit de l’Anthropocène. Je voulais les retrouver et qu’ils me rassurent.


Mes pieds se posent sur un galet, puis sur une terre mêlée de sable, puis à nouveau sur un galet. Le sol joue avec mon centre de gravité en plongeant vers la mer. Je tiens bon. Je me sens vivante. Au milieu des roches et des arbustes, les muscles dans l’effort, les sens en éveil, je ne peux plus simplement être un esprit. Je suis un corps aussi.

Quand j’arrive au bord de la mer, les rochers sont encore là. Je respire l’air frais et j’avale l’odeur des algues qui fermentent au soleil. La tristesse qui m’habite s’accroche aux vagues puissantes. Je l’imagine s’infiltrer dans l’écume, puis exploser sur la roche noire. La mer, le vent, le soleil, les rochers répondent à mon appel. Alors, je me lève et je reprends le chemin vers l’intérieur du pays.


Déambulant dans le 20ème arrondissement de Paris, mon nouveau quartier, je comprends à quel point la marche m’ancre dans un lieu. Je découvre les endroits que je pourrais atteindre en toute autonomie ; c’est la chance d’avoir ses deux jambes qui fonctionnent. Je progresse aléatoirement dans les rues tandis que mon regard cherche frénétiquement des coins rassurants. Un petit banc dans un square, des marches d’escalier au soleil, les boulangeries, les épiceries, la médiathèque. N’importe quoi tant que j’y retrouve un sentiment familier.

Mes pas tissent le cocon de ma nouvelle vie. Enfin, je me réjouis d’être un esprit. Enfin, je me réjouis d’être un corps.