Soupe de riz et shiitakes
Ce ciel, cette bruine, ces nuages, le parisien et la parisienne les connaissent bien. On flaire leur arrivée, on a envie de dire que c’est l’hiver. Ça fait la gueule et ça sent cruellement le spleen. Avec une envie urgente de trouver du réconfort auprès de ceux qu’on aime.
C’est probablement comme ça aussi dans d’autres villes. Je n’en sais rien, je suis ici. Je m’imagine que dans la nature, le gris a un autre goût. Celui de la terre repue, des arbres qui se reposent, de la vie au ralenti.
La mousse, par exemple. Après la pluie, elle se gonfle et elle se déroule doucement dans les sous-bois d’un vert puissant et délicat. Elle n’est pas de ces beautés éclatantes qui jaillissent. Son élégance est plutôt de celles qui se répandent et qui nous comblent par leur présence discrète et rassurante. Une odeur chargée de terre humide et d’un froid qui nous signifie l’arrivée du repos hivernal. Un gris qui se travestit en vert, c’est subtil comme transformation.
En ville, j’aime dire que la pluie salit les entrées d’immeuble et désature les façades. Quelques vêtements de couleurs, comme des touches de vie dans une brume polluée, me rappelle que le tableau citadin a son charme à mes yeux. Une force contenue, cachée dans la morne mollesse des avenues mouillées.
Simplement, ce gris pesant jette, sans prévenir, une couche de vague à l’âme que je ne saurais saisir.
Comme un vieux remède contre la mélancolie, j’entends une voix aimante me dire :
Fais-toi une soupe de riz. Quand on est patraque, il faut manger de la soupe de riz.
Chez moi, quand on était malade, ma mère faisait de la soupe de riz. Il paraît que c’est un pré-requis pour guérir. Comme le bouillon de poule. Ou l’infusion au thym. Vous savez, ces rituels qui se transmettent sans qu’on les interroge et qui relèvent de la légende familiale.
Une potion magique. On jette les grains de riz dans l’eau froide, on porte à ébullition, puis on baisse le feu. Ça prend le temps de cuire. J’ajoute des shiitakes en lamelles. Parce que c’est vraiment bon. On parsème de cébette et d’un peu de poivre blanc.
Ce repas simple est revivifiant. Chaque goulée fondante varie au fur et à mesure qu’on découvre en bouche une pointe de poivre, un brin de cébette ou une tranche un peu rigide de shiitake. J’éprouve un plaisir curieux à le manger bouillant. Je porte une cuillère fumante à mes lèvres et doucement, j’aspire. Je pourrais me brûler la langue, mais tant pis, je m’y risque à chaque fois. Jusqu’à ce que la soupe tiédisse.
Ce n’est pas comme à Hong-Kong où je mangerais ce plat comme l’on croque un quignon de pain ici. Là, j’ai plutôt l’impression de construire un cocon feutré dans mon appartement et dans mon esprit. Un petit lieu sûr, à l’orée de l’imaginaire, dans lequel je me sens bien les jours de boucaille.
Ici, chez moi, le gris s’habille de blanc et réchauffe comme une douce couverture de laine.
Je suis remplie. La soupe a chassé en partie mes misères imaginaires. La réalité inspire les légendes.
Quand on est patraque, il faut manger de la soupe de riz.