Par Fanny Cheung

Composer avec le temps

Publié le 25 Juil. 2023

Vue du dessus de quelques créations posées sur une table. On distigue une
petite tortue à la carapace bordeaux, une framboise et une fraise.

Depuis que je m’accorde des journées pour la création, c’est-à-dire depuis un peu plus d’un an, je mesure l’importance du temps pour les artistes. 

Ça va faire trois semaines que je dessine peu. J’ai commencé à faire du crochet et plus rien ne m’arrête. Pardon pour toutes les personnes qui me suivent principalement pour le dessin et l’aquarelle, je promets que je reviens vite à ça. Petit aparté : je ne mets pas l’argent récolté via Patreon dans mon activité de crochet. C’est une activité à part, même si elle tient une place dans mon processus de création. 

J’ai donc continué à nouer des mailles. Mailles serrées, bride, double bride, maille en l’air. Je commence à me familiariser avec le vocabulaire en français et également en anglais américain. Je dis “américain” car il existe une différence énorme dans l’appellation des mailles entre l’anglais britannique et l’anglais américain. C’est d’une confusion sans nom. Maintenant que je le sais, j’y prête davantage attention dans les tutoriels.

Passer du temps à crocheter me fait réaliser que ce temps, à pratiquer le crochet, je ne peux pas le dédier au dessin. Plusieurs raisons à cela. J’ai moins de “jus”. Moins d’idées. Moins besoin de manier de la couleur. Je suis également fatiguée au niveau des mains et des épaules.

Je crois que c’est important de le répéter : créer nécessite du temps. Je distingue le temps de vagabondage, celui de réflexion, celui d’apprentissage, celui de la pratique et enfin celui de la production. 

Le temps de vagabondage, c’est celui où je laisse mon cerveau aller. Je regarde les éléments qui m’entourent, je discute avec les gens. J’imagine des scènes ou des objets. Ce sont les respirations nécessaires de ma vie. Lorsque mon travail de développeuse web est trop prenant, ces temps se font rares et courts. Je finis par suffoquer et me sentir vide. J’ai la chance de pouvoir me ménager beaucoup de ce temps-là. J’aimerais que tout le monde puisse avoir cette chance.

On peut mettre certain⋅es artistes sur un piédestal en oubliant ce facteur du temps. Par exemple, dans mon cas, j’ai passé des semaines à peindre uniquement des nuanciers pour saisir un peu la couleur à l’aquarelle. En ce moment, pour le crochet, je noues des mailles 6h par jour en fin de journée après avoir codé. Si j’arrive à créer autant, c’est un peu parce que je suis persévérante et studieuse, mais c’est surtout parce que j’ai la chance de gagner assez ma vie à côté pour dédier du temps à la création

Faire de la création son gagne-pain, c’est principalement une affaire de privilégié⋅es. Quand je parle de privilèges, je parle d’argent, de temps, de charge mentale, de relations, d’origine sociale. Un écrivain français dont la compagne s’occupe de lui faire à manger, sa lessive, le ménage. Une peintre russe née dans une famille d’artistes. Un musicien japonais qui vit chez ses parents. Je suis certaine qu’il existe des exceptions à cela. Mais, en creusant, on trouve toujours le privilège qui nous a permis de persévérer dans l’art.

Je n’écris pas ces lignes pour dévaluer le travail des créateurices, ni le mien. J’écris pour qu’on se rappelle les nuances de la vie. Je pense que je crée des choses plutôt chouettes. Parfois ratées. Parfois esthétiques. J’y arrive par un subtil mélange entre la chance, ma pratique régulière et mes privilèges, principalement le temps/argent et les relations. 

Le génie, c’est bon pour les romans. Dans la vraie vie, on fait avec ce qu’on a. Et quand on a plus que les autres, c’est bien de se rappeler qu’on n’a rien créé tout⋅e seul⋅e dans son coin. Ça n’empêche pas de créer des choses fantastiques 💜 En vous, c’est quoi ce qui vous donne la possibilité de créer ? 

🍂 Cette publication est parrainée par mes camarades de la communauté Patreon et Liberapay
🌻 Date de publication anticipée sur ma page Patreon : 26 Avril 2023