Partir loin d’elleux
J’ai enfin quitté Paris. Ça va faire près d’un mois et je sens qu’un poids s’est retiré de ma poitrine. Après des années à suivre le rythme effréné de cette ville, mon corps et mon esprit se sont finalement alignés pour créer l’opportunité qui m’a permis de partir.
Le plus dur, c’est de laisser ma famille. Je pars dans un endroit qu’iels ne connaissent pas. Dans nos vies, il n’y a pas de maison de campagne ou de vrai lieu dont nous venons. Je suis née en ville, là où mes parents ont eu l’espoir d’une vie différente. Chez elleux, c’est Hong-Kong. Enfin c’était Hong-Kong. Quand on a immigré, c’est difficile de retrouver son chez-soi.
À l’époque où je prenais l’avion, je rentrais de temps en temps à Hong-Kong. Là-bas, je suis La Française, La Parisienne. On me montre des photos de gens avec qui je n’ai pas grandi, des lieux que je n’ai jamais connu, des moments qui ne sont plus. C’est une familiarité très étrange. S’il y a bien des personnes qui connaissent ce sentiment, ce sont les immigré⋅es de seconde génération.
Je me sens bien, entourée de celleux qui me ressemblent. Pour être plus claire, je parle d’une ressemblance à propos d’une partie de mon identité que j’ai cachée pendant longtemps. On se retrouve à faire des raviolis parce que ça fait partie de l’histoire de la famille. Ces satanés raviolis dont j’avais honte petite et qui, aujourd’hui, font fureur dans les restos branchés de Paris. On parle dans une langue que les moqueurs confondent avec un méprisant “konnichiwa nĭ hăo”. Pourtant, on peut en dire des choses dans cette langue, je vous jure. Essayez de décrire la texture du riz en français et on en reparle. D’ailleurs, à propos de riz, on prépare aussi de la soupe de riz quand les gens sont malades. Et vous, vous préparez quoi quand vos proches sont malades ?
J’ai passé ma vie le cul entre deux chaises. Comme une malédiction avec laquelle j’ai pris l’habitude de vivre. Et au milieu de ces deux chaises, se trouve un endroit spécial où je mélange avec aise ma bouille chinoise et ma bouille française. C’est ma famille de Paris. Ma famille de cœur. Alors partir loin d’elleux, c’est difficile.
Pourtant, je suis partie. Une autre partie de mon identité, celle dont je n’ai pas hérité, celle que j’ai forgé au fur et à mesure des années, m’appelle ailleurs. Je veux l’écouter pour devenir moi.